Si l’on y accède par avion (sinon c’est plusieurs jour par bateau depuis Belem ou par la route depuis la Gran Sabana au Venezuela) Manaus ressemble à une île ou un radeau perdu dans le vert océan de la forêt d’Amazonie. C’est tout l’intérêt de cette ville mis à part l’étonnant Théâtre Amazonas.
Ce dernier est le symbole le plus « bling-bling » de la Belle Epoque, où Manaus menait grand train grâce à l’or blanc : le latex. La sève de l’hévéa fournissait le précieux caoutchouc, indispensable aux pneus automobiles, en plein boum dans la seconde moitié du XIXème S. La ville, surnommée »Le Paris tropical » a tout importé d’Europe, depuis les tissus venus de la capitale française jusqu’aux lustres en verre de Murano. Imaginez que le luxe a été poussé jusqu’à revêtir la route d’accès en caoutchouc pour que les bruits des véhicules arrivant en retard ne perturbent la représentation. .
Mais un explorateur est parvenu à faire sortir du Brésil des graines d’hévéa, ce qui a ruiné quelques années plus tard cette prospérité inattendue dans ce bout du monde : la concurence de l’Indonésie et de la Malaisie avait pris le dessus. Manaus renait aujourd’hui de ses cendres avec l’exploitation outrancière de la forêt amazonienne.
Nous avons négocié avec un pécheur qu’il nous emmène une journée dans le dédale aquatique en face de Manaus jusqu’à chez lui, une maison perdue sur pilotis. Un pique-nique à bord était prévu, et lorsque nous le voyons balancer un gros morceau de viande avariée dans le fond pourri de la pirogue, nous blémissons. En voyant nos têtes, il se marre et nous précise que c’est pour pêcher les pirhanas. Au début, cela ne nous rassure pas forcément, mais lorsque nous commençons à pêcher, nous nous détendons. C’est surréaliste de mettre un bout de viande sur un hameçon, de le mettre dans l’eau, et de voir aussitôt rappliquer une meute déchainée de pirhanas. Dès que la ligne pénètre dans l’eau, on peut remonter un poisson de toute beauté, brillant et avec le ventre rouge. Il faut quand même éviter ses dents, énormes pour un si petit poisson. En une dizaine de minutes, la glacière est pleine et le pécheur semble super heureux de son futur repas.
Nous finissons de traversser les 7 km de largeur du fleuve Amazone. Au milieu la couleur change brusquement : Les eaux noires du río Negro et les eaux beiges du Solimões se rejoignent pour former l’Amazone à Manaus, mais elles ne se mélangent pas sur plusieurs kilomètres. Phénomène surprenant visuellement qui s’explique par la différence de vitesse (le Solimoes déboule 2 fois plus vite que le río Negro) et de densité.
Nous passons la journée dans le calme labyrinthe des canaux naturels autour de l’Amazone au sein d’une végétation aussi grandiose qu’impénétrable. Pas une seconde de silence. En revanche, on sent que cela vit là-dedans même si l’on ne voit pas de près les animaux. Nous les côtoierons en toute liberté dans la ‘cabane du pêcheur’ qui constitue en fait son domicile. Nous découvrirons pour la 1ère fois un paresseux : il a l’air si malheureux de se déplacer aussi à si faible vitesse et nous nous nous demandons vraiment comment il est possible se déplacer aussi lentement.
Nous repartons dans la nuit sur l’eau, et là où nous sommes passés en plein jour sans rien voir, des tas de paires d’yeux brillent dans la lumière de la lampe de poche qui nous sert de phare avant. Tous nous observent fixement. D’un coup, sans prévenir, le pécheur dirige à fond sa pirogue dessus et court simultanément se jeter à l’avant.
Un grand fracas s’en suit. Nous nous précipitons à l’abri vers l’arrière, et de là nous assistons médusés à son combat contre … un crocodile. Il parvient à le ligoter à main nue et à le hisser dans la pirogue ! Il ne s’agit pas d’un gros mâle, mais il fait plus de 1,70 m tout de même.