29 Octobre 2022 : Nous dormons cette nuit chez Guillermina et Ernesto qui habitent Yanque, petit village du début de la vallée du Colca. L’adorable Guillermina nous accueille en nous expliquant tout d’abord son histoire et sa tenue. Elle vit tous les jours en costume traditionnel de son village. Elle fait partie de l’ethnie des Collaguas, celle des terres basses, celle de la vallée du Colca :
Elle se distingue de l’ethnie des Cabanas, celle des terres hautes, celle du canyon, par le chapeau que portent toutes les femmes (Cabana à gauche, Collagua à droite) .
Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Un peu comme les O’Timmins à gros nez rouge et les O’Hara à grandes oreilles de Luky Luke, il fut un temps où la naissance dans les hautes terres ou les basses terres de la vallée de Colca déterminait la forme de la tête des bébés. Entre les années 1100 et 1450, les familles Collaguas et Cabanas ont modifié le crâne de leurs nouveau-nés en utilisant des bandages avec du tissu, et même du bois ! Les uns donnaient aux crânes une forme aplatie et large. Les autres donnaient à la tête une forme en cône… afin de ressembler au volcan sacré voisin. Puis la domination des Incas est venue aplanir tout cela. Et nous avons pu constater que, comme dans Lucky Luke, cette histoire de ‘tête de cône’ contre ‘tête de lune’ finissait bien : Guillermina possède une tête normale et la coiffe désormais aussi bien du chapeau Colliagua que du Cabana :
Mais aujourd’hui, elle brille plus que d’habitude : par-dessus son costume quotidien, elle porte une parure somptueuse qu’elle a elle même brodée : c’est le baptême de sa filleule, et elle propose gentiment de nous y amener pour danser. Après nous avoir préparé un délicieux repas, Guillermina nous amène dans un grand hangar faisant office de salle des fêtes. C’est là que nous allons effectuer un voyage hors du temps et nous retrouver hors sol.
Pour comprendre ce que nous avons vécu, il faut resituer le village de Yanque : une place avec une église dont le clocher fendu par le tremblement de terre de 1995 tient par miracle divin grâce, peut-être, à quelques bouts de bois. Les sœurs y donnent sous ce clocher les cours de catéchisme. Chez nous 3 associations de parents d’élèves auraient déjà attaqué en justice le curé pour mise en danger de la vie d’enfants.
A part la place et la rue principale, toutes les voies sont en terre et ressemblent à cela :
C’est donc au fond de ce hangar que nous découvrons un groupe de musiciens gesticulant sur une scène avec un light show et une sono à faire pâlir les Rolling Stones (dans les années 70 quand même, n’exagérons pas). Mais, alors que les musiciens s’emploient coûte que coûte à mettre l’ambiance, tout le monde reste assis autour de la salle et ne bronche pas :
Malgré les costumes étincelants des femmes, l’ambiance est glaciale dans tous les sens du terme : nous sommes à 3500 m d’altitude dans un froid de canard pire, d’alpaga, et personne ne se parle. On se croirait à un enterrement si d’un côté de la salle, il n’y avait cela : un décor où s’exposent les 2 enfants baptisés, la famille et les parrains et marraines… qui ont tous l’air de se demander ce qu’ils font là et ont l’air de s’ennuyer royalement. Seuls quelques chiens errants s’éclatent au milieu de ce nous pensons être la piste de danse.
Quelque peu perplexes, nous demandons à Guillermina quand les gens vont danser. »Bientôt, très bientôt » , nous dit-elle.
Puis une boîte repas est offerte à tous les présents. Chacun mange dans son coin.
Puis la chicha (boisson nationale à partir de maïs fermenté) est servie à la soixantaine de personnes présentes, à tour de rôle. Deux jeunes filles font le tour de la salle : l’une remplit à l’aide d’un broc de chicha le grand verre tenu par l’autre, qui le tend à un invité. Ce dernier le boit d’un coup, puis la jeune fille récupère le verre pour qu’il soit rempli à nouveau… et tendu à la personne suivante. Nous vérifions la manœuvre : c’est bien le même verre qui sert à tous les invités ! Nous sommes étonnés depuis notre arrivée dans le pays de voir à quel point les Péruviens portent le masque alors que la pandémie est bien plus faible qu’en France. Chez nous, en pleine sixième vague, plus personne ne le porte.
Et Joëlle a beau être en tenue Callagua, elle est repérée, car elle ne parvient pas à descendre plus du quart de verre de chicha.
Puis l’orchestre s’arrête. Un animateur prend le micro et commence à égrener la liste des cadeaux faits aux baptisés. Ceux-ci sont apportés un par un devant eux : un lit avec son matelas, une armoire rose pour la fille et, vous l’avez deviné, bleue pour le garçon, des objets divers, et des caisses… de bière.
Puis l’argent donné est décompté par le speaker comme lors d’une vente aux enchères. Nous aimerions bien danser et tenir compagnie aux chiens, mais manifestement, ce serait déplacé. Comme cela fait maintenant plus de 2 heures que nous sommes assis sans bouger, nous commençons à grelotter sérieusement malgré nos couches de vêtements chauds. Guillermina s’en aperçoit depuis la table d’exposition où elle a sa place entant que marraine. Elle nous apporte gentiment une couverture.
Puis chaque donateur fait son discours.
Puis chaque membre de la famille fait son discours pour remercier.
Puis chaque invité se lève et fait la queue pour aller féliciter les 2 enfants.
Là nous craquons. Il est 23 h, cela fait 3h que nous nous gelons assis sans rien faire et demandons à Guillermina l’autorisation de rentrer nous coucher : nous devons nous lever le lendemain à 5h pour aller voir les condors. Elle comprend et nous donne rendez-vous au lendemain, pour le petit déjeuner à 6h comme prévu.
Le lendemain à 6h, pas de Guillermina dans la salle à manger. Nous revenons à 6h15, toujours aucun signe de vie dans la maison. Comme nous devons partir à 6h40, nous dégotons dans la cuisine du pain du beurre et de la confiture.
A 6h30 nous voyons débarquer Guillermina, la tête dans le sac, se confondant en excuses de ne pas s’être réveillée à temps. Elle nous raconte qu’après la fin du protocole vers minuit, les bières et la chicha ont coulé à flot et elle s’est couchée à 4h du matin. Nous la rassurons : nous garderons un souvenir impérissable de cette immersion en terre inconnue.
Ce froid glacial, ça vous donne un avant goût de la France en pénurie de gaz et d’électricité pour cet hiver et l’hiver prochain. 🤔🤔🤔On a de sacrés génies aux manettes